Je faisais crisser les pneus du pick-up en arrivant devant la maison de Riley. Mon rythme cardiaque ne s'était pas calmé et je gardai en moi une multitude de questions pour ma voisine. Les quelques minutes qui s'étaient écoulées depuis mon départ du bar m'avait juste servi à me poser de nombreuses interrogations sur cette satané agence et sur leurs trop curieux agents. Je sortis en trombe de l'habitacle en claquant la portière et courus vers le pas de porte. Je frappai fort plusieurs fois, si bien que des voisins à quelques centaines de mètres de là pourraient croire que le bruit viennent de chez eux.


—  Riley ! Riley ! C'est moi Ush ! Ouvre s'il te plait, j'ai un gros problème. Riley, t'es là ?


Personne. Evidement. C'est souvent comme ça, quand on a besoin de quelqu'un, on ne le trouve pas. Je soupçonnai une affaire urgente qu'il l'avait obligé à rester au bureau et me décidai donc à rentrer bredouille. En retournant vers mon véhicule, j'inspectai d'un coup d'œil les fenêtres à la recherche d'une quelconque lueur de lumière. Non plus, la maison était bien vide.

Je regagnai ma bicoque tout près de là et montai rapidement à l'étage allumer le portable. Tant pis je me débrouillerai seul ce soir, et dans ces cas là, internet et Wikipédia sont tes meilleurs amis. Je me rafraichissais en attendant le démarrage toujours trop lent de l'ordinateur. Regardant le miroir, le visage mouillé et en appui à deux mains sur l'évier, je voyais un homme que je ne reconnaissais plus. Les traits fatigués, les rides de plus en plus marquées. Je changeais, et beaucoup plus rapidement que ce que la nature voulait m'offrir. Ma vie n'était pourtant pas des plus durs, et les soucis peu nombreux, mais il me manquait quelque chose. Bref, il était temps de se remettre en marche...

Je m'assis sur le lit et tapotai rapidement sur les touches du clavier. Plusieurs dizaines de minutes passèrent en une fraction de seconde. Plein de choses sur l'AGEPS, certes, mais aucune nouveauté. Rien de fracassant. L'agence enquêtait sur les loup-garous et se donnait beaucoup de droit. Ils avaient plusieurs dossiers chauds mais ne partageait évidement aucune information avec le grand public. Les pages se succédaient sur l'écran et mes yeux commençaient à fatiguer. Je fermai presque de rage le clapet et m'écroulai sur le lit. Rien, absolument rien. Ce n'était pas mon job, et finalement, c'était sans surprise que j'avais juste perdu mon temps.

Plusieurs minutes allongées, je vidai mon esprit, soufflai pour me détendre un peu. Une seul chose me faisait réellement du bien dans ces moments, courir. Je me levai et descendis en bas. J'entrebâillai la fenêtre de la cuisine et me transformai en un instant. Un miaulement de soulagement plus tard je m'échappai dans la nature.

Quelle sensation de liberté...

Quelle sensation ! Galoper sur le feuillage frais et humide de la forêt, les quatre pattes en actions, les coussinets au garde à vous. Oui, j’adorais cette sensation, mais en profitais trop peu. Quels meilleurs moments que de sentir la réelle définition du mot liberté – aucuns – ou de recevoir une brise fraiche et pleines de senteurs sur le museau. Non vraiment, je ne trouvais aucune comparaison sur une vie humaine classique, les félins avaient décidemment de la chance.

Parcourant les rares pâtés de maison du voisinage, je divaguai sur mon entrevue avec cette satanée bonne femme. Je me remémorai chaque phrase, chaque détail, cherchant la moindre erreur qui aurait penché en ma défaveur. Je ne trouvai rien, enfin rien de suspect, qu’avait-je à me reprocher finalement ?

Tiens, Monsieur Greyson est en train de tondre devant chez lui, à cette heure certains perdent vraiment la boule. Le pauvre vieil homme devait avoir oublié ces médocs, et avait la mémoire qui flanchait. Un furieux lui tombera bientôt dessus au lieu d’appeler les flics. Chaque scène me semblait importante, mes sens me jouaient des tours et la métamorphose provoquait toujours plus de jouissance transformation après transformation. Rien que le fait de parcourir les toits avec l’aide des gouttières avait un goût de paradis.

Je m’éternisai, il était temps de rentrer, lorsque ma transformation en félin était trop longue, un léger mal de crâne et des vertiges apparaissaient. Je n’avais évidement aucune explication mais je préférai éviter ce genre de malaise. Je prenais donc le chemin du retour en trottant. Les rues étaient calme et les gens chez eux, profitaient de repas en famille en intérieur, l’air était bien trop frais dehors. Arrivé près de la maison, je remarquai un véhicule suspect. La berline noire garée et éteinte n’était pas vide. Je sentais une présence. Profitant de mon aspect, j’approchai lentement et sauta sur le capot du véhicule voisin. Mon intuition était bonne, une femme était assise sur le siège conducteur.

Merde ! L’agent de l’AGEPS, bon sang. Elle m’avait suivi, j’aurai du m’en douter. Elle observait en silence la maison, j’avais laissé la chambre au premier allumée. Elle sirotait une boisson et pianotait des trucs sur son téléphone. La fouineuse m’en voulait, j’avais visiblement pas été assez précis dans mes explications, en tous les cas, elle voulait en savoir plus sur ma vie, elle allait être déçu.

Je rentrai enfin, même fenêtre qu’à l’aller, et monta à l’étage. Dans les escaliers, je repris forme humaine. J’attrapai un peignoir dans la salle de bain et regagnai la chambre en éteignant la lumière. A la fenêtre, je scrutai le véhicule qui n’avait pas bougé. Avait-elle l’intention de rester la nuit entière ? Quel boulot ingrat. Comment pouvait-on accepter de rester planté des heures sans être sûr de trouver quoi que soit ? Je soufflai de dégoût.

Quelques secondes plus tard, mon portable sonna. Je ne recevais pas d’appel à ces heures tardives, il s’était probablement passé quelque chose au Famous alors que j’avais laissé mes serveuses seules ! Non, une voix que je n’attendais pas chanta dans mon oreille. Riley. C’est elle qui venait à moi et elle tombait parfaitement. Je me dégageai légèrement de la fenêtre.


—  Riley.  Non, tu ne me dérange pas du tout, bien au contraire. Je suis juste un peu surpris de ton appel, je ne m’y attendais pas. Et toi, tu vas bien ? Tu vas me trouver indiscret mais je vois ta maison éteinte, rien de grave j’espère ? Tu es de sortie ou encore au bureau ?